Joël Devillet : les combats d'une vie.
«Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire» J. Jaurès
Olivier Rogeau Journaliste au Vif/L'Express 7.03.2014
L'archevêque de Belgique se livre en toute sincérité, dans Le Vif/L'Express de cette semaine. Sur ses relations avec Stéphane Bleus, le "Madoff belge", sa fortune personnelle, ses voisins musulmans, ses rencontres dans le métro, la pauvreté, les salaires des top-managers, les "forces aveugles" du marché... Et le pape François. Bande-annonce.
Le Vif/L'Express : Votre nom est cité dans l' "affaire Stéphane Bleus". Ce mystérieux escroc, que vous connaissez de longue date, est en fuite. Il est suspecté d'avoir grugé de quelque 100 millions d'euros des dizaines d'investisseurs belges et étrangers. Son objectif, il y a quelques mois, semble avoir été d'attirer l'Eglise dans ses projets. Avez-vous été tenté par l'argent de ce "Madoff belge" ?
Récemment, Stéphane Bleus m'a fait des propositions d'aides mirobolantes. Il m'a dit qu'il avait beaucoup d'argent, qu'il était prêt à me soutenir, à financer notamment une chaîne de télé pour le Web... Je lui ai, pour ma part, présenté quelques opportunités. En ignorant évidemment totalement l'origine des fonds !
Quel rapport entretenez-vous avec l'argent ?
Des dames de grande conviction religieuse m'ont fait la leçon, il y a près de quarante-cinq
ans. Elles m'ont dit qu'il n'était pas normal, à 30 ans, d'avoir acquis un appartement à Louvain-la-Neuve en prévision de ma retraite. J'avais aussi un compte d'épargne. "Que faites-vous de la Providence ?" m'ont-elles demandé.
Je ne pouvais que leur donner raison. Professeur d'université, je ne risquais pas de me retrouver sur la paille dans mes vieux jours ! J'ai donc obéi à ces dames : j'ai vendu mon appartement, j'ai investi le montant de la vente dans la
construction d'une maison d'accueil pour prêtres étrangers étudiant à Louvain-la-Neuve, et je n'ai plus de compte d'épargne. Aujourd'hui, toute ma fortune doit s'élever à quelque 10 000 euros.
Le pape
argentin s'attache à donner au Saint-Siège une nouvelle impulsion fondée sur une attention plus soutenue envers les pauvres.
Que vous inspire ce programme ?
Je nage dans les paroles du pape François comme un poisson dans l'eau bénite (rire). Son invitation à aller vers la "périphérie" est une idée géniale. Il est habité par un feu qui concrétise l'option préférentielle de l'Eglise pour les pauvres.
Vous ne sembliez pourtant pas très enthousiaste il y a un an, lors de son élection à la tête de l'Eglise catholique. Pourquoi ce revirement ?
J'ai appris à le connaître. Lors de l'élection, c'était le seul papabile dont j'ignorais tout, sauf le nom. On m'a demandé si j'étais heureux que le successeur de Benoît XVI soit Jorge Mario Bergoglio. Sur quelle base aurais-je pu répondre "oui" ?
Que pensez-vous des salaires des top-managers, de leurs parachutes dorés, des grosses indemnités qu'ils réclament à l'Etat...
C'est révoltant ! Comment ces patrons osent réclamer de tels avantages quand l'entreprise qu'ils ont dirigée va à vau-l'eau, quand les gens qui y travaillent perdent leur emploi ? Comment peuvent-ils accepter des indemnités pharaoniques ? Que peuvent-ils faire de tout cet argent ? Je rentrerais sous terre si j'étais à leur place.
Faut-il "faire payer les riches", instaurer en Belgique un impôt sur les grosses fortunes ?
Cela me paraît souhaitable. Mais il y a un risque d'évasion fiscale. Il faut mesurer les conséquences de pareilles décisions. Je suis surtout un partisan de la taxe Tobin sur les opérations spéculatives. Des milliards de dollars circulent virtuellement au-dessus de nos têtes. Toute cette économie artificielle, non liée à la production de biens et de services, et uniquement motivée par l'appât du gain, mérite d'être taxée. Elle contribuerait ainsi au bien commun.
Vous vous plaisez ici, à Malines ?
Je préférerais habiter un logement plus modeste que ce grand bâtiment de style classique très impressionnant. Mais déserter les lieux pour habiter ailleurs coûterait beaucoup d'argent. Heureusement, je vis le tiers de mon temps dans un petit appartement bruxellois, à deux pas de la gare du Midi.
Vous devrez remettre votre renonciation au pape le 6 mai 2015, jour de vos 75 ans. Votre mandat, comme celui du cardinal Danneels, votre prédécesseur, sera peut-être prolongé d'un ou deux ans.
Ensuite, où irez-vous ?
Ni dans le diocèse de Namur ni dans celui de Malines-Bruxelles ! J'aurai passé vingt-cinq ans au total dans ces deux diocèses et j'y aurai dit tout ce que j'avais à y dire. Je ne fais pas de projet d'avenir, mais pour ma retraite, je pense aller vivre dans un lieu de pèlerinage, en Belgique ou en France. Si ma santé le permet, je pourrais y confesser, y donner le sacrement de réconciliation.
Lourdes ?
Il y a plus discret que Lourdes, qui est un peu surpeuplé. Le sanctuaire de La Salette, près de Grenoble, est un lieu extraordinaire, tout comme Notre-Dame du Laus, le sanctuaire marial du diocèse de Gap. De même, le sanctuaire de Pontmain, proche du Mont-Saint-Michel, est un beau lieu d'apparition. Il y a aussi Banneux, en province de Liège.
Le Primat de Belgique bénéficie d’un salaire de 8 466,13 euros brut mensuel, soit 101 593,56 euros bruts par an, payé comme le reste du clergé, par l’état belge.
En terme de bénéfices sociaux, l’archevêque de Malines-Bruxelles a droit à :
À noter qu’un prêtre touche la somme de 1660,38 euros bruts par mois.
Au plus près du Seigneur, au mieux gagne-t-on sa vie ?
(fr)
Monseigneur Léonard a été condamné vendredi matin par le tribunal civil de Namur à payer la somme de 121.868 € au docteur Philippe Caspar. Ce dernier avait fait un travail pour l'évêque de Namur sans jamais être rémunéré.
Le médecin avait rédigé en 2004 divers rapports dans le cadre d'une mission d'audit sollicitée par Mgr Léonard. Ce travail, intitulé "étude prospective sur la situation de l'Université Chrétienne dans l'Eglise belge méridionale", consistait en une analyse de la bioéthique à l'Université Catholique de Louvain-la-Neuve (UCL).
Concernant le financement de la période d'étude et l'organisation matérielle, Mgr Léonard avait précisé qu'il serait le premier donateur, voulant montrer l'exemple et donner des garanties aux futurs partenaires. Il s'était ainsi engagé à trouver 100.000€.
Le 30 juillet 2004, n'ayant toujours reçu aucune rémunération, le médecin a écrit à l'évêque. Celui-ci s'est alors étonné qu'il ait cru pouvoir avancer des frais pour un audit qui n'avait encore fait l'objet d'aucun contrat, son financement n'étant pas assuré.
La demande de Philippe Caspar devant le tribunal civil tendait dès lors à faire condamner l'évêque au paiement des honoraires s'élevant à un total de 121.868 euros, à majorer des intérêts moratoires. Ce qu'il a finalement obtenu, le tribunal civil estimant que le médecin avait été conforté par l'engagement de l'évêque.
Ce rapport était au départ secret mais avait atterri sur la place publique au moment où Philippe Caspar avait attaqué en justice l'évêque de Namur. L'UCL n'était pas au courant de cet audit. Et certains parlaient d'espionnage.
Mais Léonard s'en défendait: "Assimiler ça au Watergate, à Nixon et de l'espionnage, je conteste ça", avait-il déclaré dans les Editions de l'Avenir le 11 septembre dernier. "N'importe qui aurait pu faire ce travail d'archive mais il l'a assorti de commentaires d'expert. Le but n'était pas d'envoyer ces documents à Rome. Rome connaît tout ça. Évidemment, si on avait lancé un programme d'ampleur de formation en bioéthique, on aurait averti Rome." (Avec Belga)