Joël Devillet : les combats d'une vie.
«Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire» J. Jaurès
La personne qui estime avoir été victime d'une infraction pénale peut réclamer des dommages et intérêts à l'auteur de celle-ci. Plusieurs possibilités existent pour ce faire, dont la constitution de partie civile entre les mains d'un juge d'instruction.
Le juge d'instruction en Belgique 12.11.2017
La présidente du syndicat des magistrats dénonce l’austérité imposée par le gouvernement, qui menace l’indépendance des juges, garante de la démocratie. Et quitte à faire des économies, elle en propose une autre...
Le 20 juin, des magistrats de tout le pays, soutenus par des avocats, ont prévu d’organiser à nouveau un grand rassemblement à Bruxelles. “Il s’agit de manifester notre indignation et d’opposer une forme de résistance civile de longue durée qui ne nous mette pas dans l’illégalité. Et qui ne préjudicie pas le justiciable ”, explique Manuela Cadelli, juge au tribunal de première instance de Namur et présidente de l’Association syndicale des magistrats. Pour elle, le moment est crucial, voire “tragique”: l’austérité imposée de longue date à la justice s’apparenterait à un basculement de régime. D’où l’apparition des juges, peu habitués à ce genre d’exposition, parmi les protestataires de tout poil. Mais ici pour dénoncer carrément le “tournant antidémocratique” pris par notre pays. Car on serait en train de briser ce qui avait été instauré dès 1831 et qui avait été considéré par tous comme un progrès: l’indépendance des juges. “ Or, la Belgique était, à lépoque, avant-gardiste à cet égard… ”
En quoi consiste cette fameuse “indépendance du juge” et pourquoi est-elle si cruciale?
MANUELA CADELLI - C’est la garantie donnée à un citoyen qui comparaît
devant un tribunal qu’il n’y aura pas de pression exercée sur le juge et que les seuls éléments de contrainte de celui-ci dans son analyse du dossier et son jugement seront les éléments de ce dossier et la loi
applicable à la situation.
Parlez-nous des pressions qui s’exercent aujourd’hui sur les juges…
M.C. - À Namur, je suis juge en économique et financier. Il y a ces dossiers “ délicats
” de deux anciens bourgmestres de Namur à qui on reproche d’avoir faussé des marchés publics. Ils auraient favorisé des entrepreneurs que la ville engageait. Si vous dites au juge, de manière diffuse: “
Tel bourgmestre ne l’a pas fait exprès”, si vous avez la possibilité de déplacer le juge pour l’envoyer travailler à Arlon, vous exercez une pression sur lui. Moi qui suis rebelle, je pourrais énerver le
ministre, par exemple. Or, c’est lui qui donne les sous. Et il n’y en a pas assez… Il va donc évaluer les “résultats” des tribunaux, compter le nombre de jugements prononcés… Il pourrait dire ou faire
comprendre au tribunal de Namur: “Madame Cadelli me dérange, me critique, vous aurez votre budget si elle est envoyée à Arlon. Je voudrais qu’on la mate”. Le ministre dispose, en effet, d’une série de possibilités
pour mater les juges et faire en sorte que la justice soit rendue différemment, parce que les juges ont peur.
La nouvelle loi de “gestion autonome”, contre laquelle se rebellent les magistrats, accentuerait cette tendance…
M.C. - Oui. Parce que le ministre, sous la coupe - comme tout le gouvernement - de l’Inspection des finances, évalue et nous accorde des budgets dans le cadre d’une enveloppe fermée, qui est insuffisante: les dernières mesures
nous imposent une austérité de 20 % sur quatre ans. On en est maintenant à 0,5 % du budget fédéral au lieu de 0,7 % (voir encadré)… On devra donc produire des “résultats” au ministre pour
qu’il nous donne des sous. Dans une enveloppe fermée, forcément, si tel tribunal a beaucoup de sous, tel tribunal, à côté, en aura moins. Vous réalisez les possibilités de pressions et de menaces qui pèseront
sur les juges!
Pourquoi réclamez-vous la négociation d’une dotation accordée par le Parlement?
M.C. - Aujourd’hui, le ministre de la Justice, l’exécutif, un organe non élu donc,
assigne leurs objectifs aux tribunaux, accorde les budgets et évalue les résultats en fonction d’indicateurs qu’il a lui-même définis. Nous réclamons que ce soit le Parlement qui nous accorde une dotation négociée
avec lui. Et nous voulons être évalués par la Cour des comptes, un organe indépendant. Parce que aujourd’hui, dans le monde judiciaire belge, on a complètement inversé les valeurs! L’administration de la
justice se réserve le droit de ne plus remplir les cadres légaux sans l’aval de l’administration des finances. On place le respect de la contrainte budgétaire au-dessus du respect de la loi. Ce n’est plus démocratique!
Le ministre Koen Geens (CD&V) nous a expliqué, la bouche en cœur, qu’il n’avait pas le même avis que la loi… Vous imaginez un avocat asséner à un juge que son client qui a commis un excès de vitesse
n’a pas la même conception de la loi… que la loi?
Évoqueriez-vous, comme l’avocat Pierre Chomé, un complot du législatif et de l’exécutif pour saboter la justice?
M.C. -
Il semblerait que ce soit l’affaire Fortis, en 2008, qui ait vraiment traumatisé le monde politique. À cette époque, le premier président de la Cour de cassation est allé devant le Parlement et a fait tomber le gouvernement
Leterme (CD&V). La crise politique a duré deux ans. Tony Van Parys (CD&V), ancien ministre de la Justice, a dit, à l’époque: “Les juges vont le payer!”… Dans les années qui ont suivi sont venus la
loi de “gestion autonome” et ensuite les 20 % d’austérité… dans un secteur déjà ruiné!
La politique de restrictions budgétaires du gouvernement fédéral incite l'administration de la Justice à désobéir à la loi et risque d'assimiler la Belgique à un État voyou, a affirmé dimanche le premier président de la Cour de cassation et premier magistrat du pays, Jean de Codt, dans l'émission Les Décodeurs (RTBF).
"Quel respect donner à un État qui marchande sa fonction
la plus archaïque, qui est de rendre la Justice? Cet État n'est plus un État de droit, mais un État voyou", a affirmé M. de Codt, alors que plane une menace de grève jusque dans le monde des magistrats.
Il
relève que l'administration de la Justice se réserve désormais le pouvoir de ne plus publier les places vacantes, et donc de ne plus remplir les cadres prévus par la loi, sans avoir l'aval de l'administration des Finances.
La loi n'est plus respectée
"La loi n'est plus respectée", affirme Jean de Codt, pour qui le Pacte de stabilité budgétaire a pour effet que le Plan Justice ressemble désormais à "un plan social
massif".
À ses yeux, du fait que le contentieux explose et qu'il y a toujours moins de personnel judiciaire, le droit de l'homme que constitue l'accès au juge risque de ne plus être assuré.
La Belgique
peut se faire condamner au niveau international en matière de justice équitable et de délai raisonnable, mais aussi pour les "conditions infectes" de détention dans les prisons du Royaume.
Le premier président
de la Cour de cassation estime toutefois que la confiance n'est pas rompue avec le gouvernement et que le dialogue continue, mais il affirme que le monde de la Justice utilisera les armes légales si nécessaire.
Quant à
la menace de grève, Jean de Codt estime qu'un juge ne peut pas suspendre la justice. "Un député, un ministre qui fait grève, ça n'existe pas. Un juge ne fait pas grève, car un juge c'est l'État. En plus, des
règles interdisent la coalition de fonctionnaires, le déni de justice. Je ne dis pas que ces règles seraient applicables en l'espèce, mais elles incarnent des valeurs que nous sommes attachés à respecter."
L'appel de M. De Clerck aux victimes de s'adresser en premier lieu aux centres d'accueil suscite en outre la polémique jusqu'au sein du gouvernement
BRUXELLES
Les procureurs généraux ont fait savoir jeudi au ministre de la Justice Stefaan De Clerck qu'ils ne collaboreraient pas avec le centre d'accueil pour les victimes d'abus sexuels annoncé par les évêques, rapportent vendredi
La Libre. Les procureurs veulent préserver la primauté incontestable de la justice dans l'approche et le suivi des dossiers.
M. De Clerck avait dit mardi son souhait d'étudier comment une collaboration entre le centre et la
justice était possible, insistant toutefois pour que tous les faits punissables soient transmis à la justice.
Les procureurs généraux sont unanimement décidés à exclure toute forme de coopération
avec le centre en gestation. Le procureur général de Mons Claude Michaux refuse d'entendre parler d'une quelconque possibilité pour les membres du centre d'accueil de faire le tri entre les affaires prescrites et celles qui ne le seraient
pas.
L'appel de M. De Clerck (CD&V) aux victimes de s'adresser en premier lieu aux centres d'accueil suscite en outre la polémique jusqu'au sein du gouvernement, ajoute Le Soir. "Nous avions pourtant été clairs. Nous lui
avons dit: Stefaan, ça ne va pas. C'est comme s'il ne comprenait pas nos critiques", constate un ministre. "Il ne veut pas comprendre", renchéri un autre, pour qui "il est intervenu de manière exceptionnelle dans la défense de l'Eglise".
Stefaan De Clerck se dit "profondément blessé par ces critiques" qui vont "à l'encontre de l'image que j'ai de la Justice qui doit tout faire pour donner une place centrale à la Justice".
Le CD&V a déposé une proposition de révision de la Constitution qui met fin à l'obligation du prononcé du jugement en audience publique. Il estime qu'aujourd'hui, des moyens plus modernes permettent d'assurer la publicité des décisions judiciaires, par exemple une publication sur internet.
Le principe du prononcé en audience publique remonte à 1831. Il est dépassé, estime le chef de groupe CD&V, Servais Verherstraeten, qui souhaite le
limiter au dispositif du jugement, c'est-à-dire la décision proprement dite. La motivation serait accessible sur un site internet.
"Le temps où les jugements n'étaient portés à l'attention du public que
par les journalistes de la presse écrite qui assistaient aux audiences où ils étaient prononcés, est révolu depuis longtemps. De nos jours, l'utilité de cette lecture est très limitée, voire inexistante
lorsqu'elle a lieu devant une salle d'audience vide, en particulier lorsqu'il apparaît que l'objectif poursuivi pourrait tout aussi bien être atteint, voire mieux, grâce aux techniques modernes de communication de masse", souligne le chrétien-démocrate.
L'article 149 de la Constitution, qui consacre le principe actuel, est ouvert à révision. D'autres partis ont déjà introduit une proposition pour le réviser. Le CD&V s'attend donc à trouver du soutien
auprès des autres formations.
27.06.2010