Joël Devillet : les combats d'une vie.
«Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire» J. Jaurès
Opinion externe sur le site de "la Libre" 27.05.2020
Une opinion de Monseigneur Léonard, ancien primat de Belgique.
"Le venin des crapauds n’atteint pas les étoiles." Voilà le dicton que risquent d’inspirer chez certains les propos de ses détracteurs face à la grandeur de ce saint Pape.
Après la mort de Jean-Paul II en 2005, j’avais écrit un article suggérant de l’appeler désormais "Jean-Paul II le Grand", à l’instar de Léon le Grand et de Grégoire le Grand. D’où mon heureuse surprise que l’on ait posé récemment à Benoît XVI la question de l’opportunité d’une telle désignation. Avec sa prudence de Pape "émérite", sa réponse ne fut ni "oui" ni "non", mais elle avançait tant de qualités exceptionnelles de son prédécesseur qu’elle équivalait implicitement à un "oui" franc et massif.
J’ai souvent rencontré Jean-Paul II en privé ou lors de manifestations publiques et j’ai lu tous les textes qu’il a publiés au cours de son long pontificat. Tout le monde n’a pas approuvé son comportement et son enseignement. Cependant il fut pour beaucoup de catholiques, et de jeunes en particulier, une inspiration exceptionnelle. Car cet homme, si réservé dans les contacts personnels et si hermétique dans certains de ses écrits, avait une capacité extraordinaire de s’adresser aux foules. Ce qui subjuguait tout particulièrement les jeunes, c’était sa proximité, pleine d’affection et de miséricorde, en même temps que la clarté de son enseignement. Jamais de discours ambigu disant à la fois tout et son contraire. Fidèle à l’enseignement de Jésus, son langage était "oui" ou "non", jamais les deux à la fois, et sans tomber pour autant dans un simplisme sans nuances. Il plaçait la barre très haut, en tous domaines, mais sans décourager ses frères et sœurs dans la foi, car il rayonnait cette miséricorde qui n’enferme jamais l’humanité dans ses misères.
Il était pour ses contemporains la conjonction vivante de l’importance prioritaire de la prière et de l’engagement chrétien effectif. Un "bloc de prière" en même temps qu’un témoin prêt au martyre pour le service de Dieu et de l’homme.
Son programme pour la célébration du Grand Jubilé de l’an 2000 reste, aujourd’hui encore, une inspiration inépuisable pour tous les acteurs de la pastorale. Et son encyclique Veritatis splendor, même si elle est de lecture exigeante, reste un phare précieux pour une théologie morale équilibrée. Sa riche contribution dans le domaine du respect de la vie humaine, de l’amour humain et de la morale sexuelle en est l’illustration concrète.
Jean-Paul II était un intellectuel de haut vol, mais son engagement courageux quand il était archevêque de Cracovie, sous le régime communiste, a fait de lui, en même temps qu’un grand penseur, un témoin audacieux qui, comme Pape, a eu un retentissement politique de grande ampleur, d’autant plus que, par ses innombrables "visites pastorales", il fut en quelque sorte "le curé du monde entier".
Enfin, sa volonté d’accomplir sa mission jusqu’au bout, jusqu’à son extrême faiblesse, a touché beaucoup de cœurs. Ce n’était pas sans inconvénients pour l’exercice concret de son ministère. Et Benoît XVI, en renonçant à sa charge effective, nous a montré qu’un autre choix est possible quand un Pape voit ses forces décliner. N’empêche que son attitude fut un ultime témoignage rendu à la dignité de l’être humain, même dans le plus grand dénuement.
Certes, Jean-Paul II avait aussi ses limites, comme tout homme. Même un saint a des défauts et a pu commettre des erreurs. Mais d’instinct les foules, au lendemain de sa mort, pressentirent que ce Pape qu’elles avaient tant admiré était réellement un saint Pape.
D’où mon étonnement devant une chronique récente : "Un enthousiasme qui retombe" ( voir les pages Débats du 22 mai 2020 ou sur https://bit.ly/3c0KeOw). Elle cherche à être plus nuancée que les deux ouvrages qu’elle cite. Mais, au-delà des trois auteurs, qui, comme tout un chacun, méritent le plus grand respect, le contenu de leur production, depuis le plus nuancé jusqu’à ceux qui le sont moins, confronté à la grandeur exceptionnelle de saint Jean-Paul II, risque de réveiller, chez des lecteurs moins bien intentionnés que moi, le souvenir du dicton célèbre : "le venin des crapauds n’atteint pas les étoiles".
(ZENIT.org) – « L’héritage de Jean-Paul II, un peu comme celui – toutes proportions gardées – du Concile Vatican II n’est pas derrière nous, mais devant nous, comme un programme », explique Mgr Léonard.
Mgr André-Mutien Léonard, évêque de Namur
(Belgique, cf. http://www.diocesedenamur.be/index.asp), a été pendant plus de vingt ans professeur à l’université catholique de Louvain, et pendant treize ans supérieur du séminaire Saint-Paul de Louvain la Neuve. Il est docteur en philosophie et membre de la commission théologique internationale. Il a vécu la majeure partie de son ministère parmi les jeunes. Il est l’auteur de dix-huit ouvrages depuis 1970 et vient de publier: « La mort et son au-delà ». Jean-Paul II l’a appelé à prêcher les exercices spirituels au Vatican en 1999. Il évoque pour les lecteurs de Zenit la figure paternelle de Jean-Paul II.
Zenit : Le monde entier vient de rendre un hommage sans précédent au défunt pontife romain. Comment lire cette réaction? Pour vous, qui est Jean-Paul II?
Mgr Léonard – Jean-Paul II s’est comporté comme le curé du monde entier. Il est allé au devant de tous les peuples de la terre pour les rencontrer. Ces dernières années, ses visites pastorales lui ont coûté un énorme effort moral et physique. Les gens l’ont compris. Ils ont voulu aller à la rencontre de celui qui les avait tant cherchés de par le monde. Pour cela, ils ont été prêts à supporter un grand inconfort et de longues heures de patience. C’était leur manière, simple et éloquente, de rendre amour pour amour à ce Pape qui les a tant aimés. Par-delà les grands thèmes d’un pontificat exceptionnellement riche, méritant une profonde reconnaissance, c’est le cœur qui a parlé. Et c’était très bien.
Zenit : Jean-Paul II vous a choisi comme évêque de Namur, il vous a appelé pour prêcher la retraite de carême au Vatican: quelle parole ou quel « instantané » gardez-vous des rencontres plus personnelles avec lui?
Mgr Léonard : Je n’ai jamais connu mon père de la terre. Il est mort à la guerre quand j’avais dix jours. Jean-Paul II a été en quelque sorte pour moi un autre père. C’est lui qui m’a fait largement ce que je suis. Il m’a résolument nommé évêque de Namur en 1991. Et je lui suis redevable de tant d’inspirations et d’encouragements. Il m’a, en ce sens, engendré, comme un vrai père. En m’appelant à lui prêcher le Carême de 1999, il m’a fait une énorme confiance. Au terme de cette retraite, il m’a reçu une demi-heure pour un beau partage spirituel qui m’a beaucoup marqué. Quand il a pris congé de moi, il m’a serré dans ses bras avec tant d’affection que j’ai ressenti son amour comme un véritable amour paternel. Je l’ai donc pleuré, à sa mort, comme un fils pleure son père bien-aimé. Et tant d’autres l’ont fait avec moi.
Zenit : Ce dimanche, place saint-Pierre, les fidèles sont venus, un peu désorientés, sous cette fenêtre qui est restée fermée à midi. Mais ils étaient des milliers pour la messe des « novendials » dans la basilique le soir. Comment aider les fidèles à vivre ces jours, où le siège de Pierre est vacant ?
Mgr Léonard : Pendant la vacance du Saint-Siège, il faut beaucoup prier pour le Pape Jean-Paul II, mais aussi avec lui, tout spécialement pour que le Conclave soit parfaitement docile aux inspirations de l’Esprit Saint et élise bientôt un nouveau Pape qui, à défaut de « remplacer » Jean-Paul II, devra lui « succéder » avec beaucoup de courage et de confiance.
Zenit : Comment faire nôtre l’héritage que laisse le Saint-Père?
Mgr Léonard : L’héritage de Jean-Paul II, un peu comme celui – toutes proportions gardées – du Concile Vatican II n’est pas derrière nous, mais devant nous, comme un programme qui devra nous inspirer longtemps encore. Son successeur le prolongera immanquablement, mais à sa manière, car un Pape peut s’inspirer de son prédécesseur, mais non le copier. Il faudra surtout conjuguer, d’une manière nouvelle, la solidité doctrinale de Jean-Paul II, son ouverture prophétique aux inspirations de l’Esprit et son immense charité pastorale.
Zenit : Et se préparer à accueillir celui que l’Esprit appellera à lui succéder?
Mgr Léonard : Il faut surtout éviter d’avoir des idées toutes faites et trop précises sur ce que sera et qui sera le successeur de Jean-Paul II. Laissons les cardinaux discerner dans la prière celui que l’Esprit Saint a en vue. Quand la fumée blanche sortira, accueillons l’envoyé du Seigneur d’un cœur bien large. Et soutenons-le de notre prière et de notre amour filial.
Zenit : Qu’aimeriez-vous ajouter à l’adresse de nos lecteurs?
Mgr Léonard : Tout est dans les mains de Dieu et c’est sa Providence qui, en dernière analyse, conduit tout. Même ce qui, dans un premier temps, nous déçoit parfois, devient ensuite farine au bon moulin de la grâce. Soyons donc pleins de confiance. Avec le nouveau Pape, avançons au large, très bientôt. Nous ne serons pas déçus. Comme disait Thérèse de Lisieux, « on obtient de Dieu tout autant qu’on en espère ». Espérons donc le maximum. Et nous serons comblés. C’est le sens du mot célèbre de Julienne de Norwich: « vous verrez que tout finira bien ! »
Bruxelles, 1er mars 1999 (APIC)
Deux heures après son retour de Rome en Belgique, Mgr André-Mutien Léonard, évêque de Namur a donné ses impressions de «prédicateur» du pape. Des sept jours passés au Vatican pour y prêcher, à la demande du pape, la retraite annuelle de carême, Mgr Léonard en garde un souvenir inoubliable, ainsi qu’il l’a confié à l’agence de presse catholique belge CIP.
«Je suis très content de la manière dont cette retraite s’est déroulée et a été organisée sur place. Cela a dépassé tout ce que je pouvais imaginer, notamment par le climat de prière, par la qualité de la liturgie, avec des offices admirablement chantés quatre fois par jour. Le pape Jean Paul II était lui-même très présent, très priant et très attentif».
Cardinaux et évêques, prêtres et religieuses: une soixantaine de personnes s’étaient inscrites à ce temps fort organisé pour les membres et collaborateurs de la Curie romaine. «Nous avons passé ensemble cinq heures par jour, raconte Mgr Léonard. Quatre causeries quotidiennes m’étaient demandées. Cela m’a permis de ressaisir le thème majeur de la préparation au Jubilé de l’an 2000, selon les trois axes que j’ai développés dans les livres que j’ai consacrés au Christ, à l’Esprit-Saint et récemment au Père».
Un des défis posés au premier prédicateur belge de cette retraite était de s’exprimer en italien. «Vu le nombre des causeries (22 au total), c’était effectivement un défi supplémentaire. Mais je maîtrise assez bien l’italien pour l’avoir pratiqué quotidiennement, durant mes études à Rome il y a 35 ans. Un cardinal s’est même étonné en me disant à brûle-pourpoint: «Vous n’êtes pas d’origine italienne?
Au terme de la retraite, confie encore l’évêque de Namur, nous avons tous été reçus par le pape. Dans son allocution, Jean Paul II a dit qu’il avait été spécialement touché par ce que j’avais dit à propos du sacrement de la réconciliation, du Samedi-Saint et de l’unité des chrétiens, où je me suis inspiré d’un texte que je considère comme prophétique: le «court récit sur l’Antéchrist» écrit par le théologien russe Soloviev. J’ai en outre été reçu durant un quart d’heure par Jean-Paul II, qui m’a remercié pour mon travail et a souhaité que ces prédications soient publiées en italien et en français.
«Avec moi, le pape a évidemment évoqué le diocèse de Namur, à commencer par les personnes qu’il a appris à connaître au Collège belge de Rome. Jean Paul II m’a laissé une forte impression: il a une mémoire extraordinaire. Même si sa santé physique manifeste ses limites, il n’a cessé d’être splendidement attentif». (apic/cip/ba) source